Petrit Halilaj

Do you realise there is a rainbow even if it’s night!?

22 nov. 2017 - 26 janv. 2018

Mennour, 51 Brook Street, London

« Depuis l'âge de sept ans, toutes mes sensations par rapport à un rectangle de lumière de soleil encadré par la fenêtre, ont été commandées par une passion unique. Si mon premier regard du matin était pour le soleil, ma première pensée était pour les papillons qu'il engendrait. (…) Un visiteur d'une espèce rare, une splendide créature jaune pâle avec des tâches noires et des crénelures bleues, et un ocelle vermillon sur chaque queue noire bordée de jaune de chrome. (…) ne cessait d'agiter, par saccades nerveuses, ses grandes ailes, et mon désir de le posséder devint irrésistible. » 


— Vladimir Nabokov, Autres rivages

Comme souvent dans l’œuvre de Petrit Halilaj, Do you realise there is a rainbow even if it’s night ?! semble être la matérialisation d’un rêve, d’un conte traditionnel. Sa fascination pour les lépidoptères, au moins aussi précoce que celle de Vladimir Nabokov, vient des papillons de nuit qu’il chassait enfant dans la maison familiale de Kostërc, tandis qu’ils manquaient de se brûler les ailes contre les ampoules électriques suspendues. Il a douze ans lorsque sa famille fuit la guerre du Kosovo pour se réfugier dans un camp en Albanie où il apprend le dessin en croquant les animaux qui l’entourent quotidiennement. Après avoir étudié à l’Académie de Brera à Milan, il poursuit depuis 2009 la voie d’une œuvre autobiographique quoiqu’étroitement inscrite dans l’histoire collective. Ses installations monumentales racontent l’exil, la guerre, la nostalgie du territoire abandonné sans ne jamais céder, pourtant, au drame ou au pathos. Comme les insectes qu’il collectionne ou les canaris qui volent librement dans son atelier et qu’il convoque dans la plupart de ses réalisations, ses dessins et sculptures confinent à une grande délicatesse. Chez Petrit Halilaj, la fiction et l’imaginaire, la métaphore, l’humour et la poésie participent d’une contestation politique et sociale engagée.

À l’occasion de son exposition personnelle chez kamel mennour, à Londres, Petrit Halilaj a réalisé une installation inspirée par le projet présenté à la 57e Biennale de Venise, intitulé dès sa première version, Do you realise there is a rainbow even if it’s night ?!, qui consistait alors en des tapis kilim kosovars qu’il avait découpés et cousus en collaboration avec sa mère afin de les transformer en papillons. En 2009, invité à une première exposition monographique au Centre d'Art Contemporain de Pristina il découvrait dans une réserve abandonnée du musée d’histoire naturelle la collection de lépidoptères. Cette découverte l’avait amené à réaliser une série de travaux intitulés Cleopatra dans lesquels des lumières électriques imitaient le mouvement des insectes dans l’obscurité, puis à réaliser les papillons monumentaux exposés dans le pavillon de l’Arsenal en 2017. 

 

La découverte récente des dessins de papillons réalisés par Vladimir Nabokov, les photographies de différentes espèces de lépidoptères trouvées sur internet, ont inspiré à Petrit Halilaj ce nouveau dispositif, constitué d’un ensemble de dessins minutieux réalisés au crayon ou à l’encre de chine.  Leur délicatesse confine aux dessins scientifiques comme ceux réalisés par les explorateurs des XVIIe et XVIIIe siècles pour attester de la découverte de nouvelles espèces animales. Les dessins à l’encre réalisés par Petrit Halilaj trouvent d’ailleurs un modèle de choix dans l’œuvre graphique du naturaliste allemand Alexander von Humboldt dont les planches encyclopédiques sur les papillons et les oiseaux s’amoncellent dans l’atelier de Petrit Halilaj. La feuille de papier s’apparente à un espace où les insectes semblent se loger. Ces dessins sont aussi le point de départ de potentielles sculptures de papillons de nuit, ou bien peuvent accompagner le processus de création de ces créatures fictives et surréalistes. 

Pour chacun des dessins, l’artiste a confectionné des écrins dans des caisses de bois bricolées dans lesquels des tapis kilims traditionnels  les dissimulent, les recouvrent en partie ou permettent de les dévoiler. La création de costumes en collaboration avec sa mère à Pristina et celle de caisses de bois bricolées à Runik, comme celles autrefois réalisées avec son grand-père, témoignent de l’importance du territoire, de l’Heimat et de l’identité dans le travail de Petrit Halilaj. Dans la maison familiale envisagée comme un atelier, chaque étape du projet devient prétexte à un dialogue intime avec ses origines et à un retour à l’innocence de l’enfance, comme s’il s’agissait de pratiquer à travers la création, un « activisme invisible » qui « transformerait le monde futur petit à petit ».

 

L’éclairage électrique brouille les frontières entre la réalité d’un dispositif muséal, d’un cabinet de curiosités et l’illusion de lieux envahis par une multitude d’insectes. Les caisses en bois, semblables aux « théâtres poétiques » imaginés par Joseph Cornell permettent à chacun d’y projeter ses propres souvenirs.  Le monumental costume de papillon, à la fois beau et grotesque, séduisant et drôle, semble être, comme le monstre kafkaïen de La Métamorphose, une réponse à l’absurdité du monde contemporain. La symbolique de la métamorphose liée au papillon, sa vulnérabilité sont aussi, dans son vocabulaire, l’Autre, le réfugié, l’homosexuel ou encore la métaphore de la résurrection du peuple kosovar aujourd’hui.  

 

— Marie Sarré