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Les lettres sanglantes taguées d’un abris-bus vandalisé indiquent « Vivre libre ou mourir ». Un homme se protège le visage d’une bombe lacrymogène, un autre aux yeux bandés porte un uniforme militaire. Cagoulées ou masquées, les personnages qui habitent les compositions de Nicolas Lebeau cherchent à se sauver, à déserter la scène pour conserver leur anonymat et échapper au traçage de données.
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Les lettres sanglantes taguées d’un abris-bus vandalisé indiquent « Vivre libre ou mourir ». Un homme se protège le visage d’une bombe lacrymogène, un autre aux yeux bandés porte un uniforme militaire. Cagoulées ou masquées, les personnages qui habitent les compositions de Nicolas Lebeau cherchent à se sauver, à déserter la scène pour conserver leur anonymat et échapper au traçage de données. Ses mosaïques fragmentées ne donnent à voir qu’une bribe de contexte, seul un extrait de l’énoncé. La référence des scènes exploitées n’est pas essentielle : puisées sur l’application de messagerie Télégram, dans la couverture médiatique des conflits actuels en Ukraine et à Gaza, ou encore dans celle des manifestations des gilets jaunes ou contre les réformes de retraite, les images que Nicolas Lebeau s’emploie à détourner dessinent le contour d’un monde agité.
La pratique de Nicolas Lebeau s’inscrit dans un art du détournement. Physique d’une part, par le trafic des outils qu’il emploie pour l’impression de ses compositions et l’intervention directe dans le fichier source ; et conceptuel, par le choix de superposition d’images pré-existantes. Cette multitude de provenances aboutit à une mise en relation ou en confrontation de contextes situés et éminemment politiques. Or, privées de tout référencement et contexte d’origine, ces images contribuent à la création d’une archive globale et anonyme de la résistance. Sans savoir à l’encontre de quoi, les assemblages de Nicolas Lebeau orchestrent les prémices d’un soulèvement. Jamais explicites, la violence et le conflit ne sont que suggérés. Et pourtant une atmosphère teintée de rébellion se dégage : celle d’un terrain qui, même semé de mines, serait fertile au développement clandestin d’un monde alternatif, d’un réseau endormi qui n’attend que d’être déclenché.
Les œuvres de Nicolas Lebeau sont souvent imprégnées d’un double sens, en réunissant plusieurs contradictions. L’installation immersive would U wear my eyeZz s’impose dans l’espace d’exposition aussi bien comme une scission autoritaire qu’un refuge accueillant. Le titre de l’œuvre est emprunté au poème éponyme de l’écrivain américain Bob Kaufman, qui dépeint au cours du texte l’image d’un corps las, anéanti, qui ne supporte même plus le poids de la vision face à la misère du monde. La structure en arc-de-cercle de l’œuvre nous place aussi bien dans une cellule d’isolement, faisant allusion à l’univers carcéral ou à la société de surveillance, qu’à l’abris derrière un rempart de protection. Et c’est dans cette ambiguïté que transparaît la justesse de sa pratique : utilisant les images pour questionner le rôle qu’elles occupent dans nos sociétés et nos imaginaires collectifs, Nicolas Lebeau s’intéresse à la double nature des représentations, tant dans leur capacité à permettre une surveillance constante et un contrôle continu, qu’à générer une résistance silencieuse et une solidarité organique. Ici ce sont les acteurs de l’arrière-plan, les figurants de seconde ligne qui prennent le centre de la scène. Leur apparition dans le cadre paraît dérobée, à la sauvette, comme si ces protagonistes aléatoirement désignés étaient pris au dépourvu par une caméra de surveillance lors d’une action fugitive.
La stratification des compositions de Nicolas Lebeau rend toute lecture totalisante impossible. Les lamelles verticales, rappelant la pellicule argentique, se déplient puis se recourbent comme pour dévier avec méfiance toute imposition formelle. La pixellisation ou la pigmentation extrême du fichier source saturent les compositions de couleurs vives et dissonantes, comme un appel visuel à défier la réalité ou une alerte pour se mobiliser. Les découpes saccadées créent un rythme discordant rappelant la réception défaillante de bribes d’informations auprès d’un réseau en perte de signal. La récurrence des « zZZzZzz » dans les titres de Nicolas Lebeau emprunte au langage codifié d’internet la désignation du sommeil pour signaler l’état de somnolence générale et d’acceptation passive face à l’omniprésence d’images révoltantes auxquelles nous sommes collectivement confronté·e·s. Si des fictions absurdes et des discours conspirationnistes sont inventés quotidiennement pour répondre au besoin croissant d’instrumentalisation de la pensée via l’image, pourquoi ne pas employer ces mêmes outils pour une manipulation paradoxalement plus éthique ? À l’heure où les conflits mondiaux se vivent en direct à travers une technologie toujours plus prédatrice, la pratique de Nicolas Lebeau nous confronte à l’état d’anesthésie et de somnolence générales que nous subissons pour tenter un éveil poétique et collectif à l’aube d’un lendemain meilleur.
— Megan Macnaughton
