Tadashi Kawamata
Site Sketches
28 nov. 2019 - 18 janv. 2020
Mennour, 28 avenue Matignon

Les premières études anthropologiques envisageaient le paysage comme un réceptacle d’actions sociales et culturelles propres à la nature – par opposition à la civilisation. Plus tard, le paysage a été considéré comme le lieu d’une coexistence entre l’aspect esthétique de formes territoriales, végétales et archéologiques et ses interférences avec les formes créées par l’homme. De nos jours, le paysage est pensé en tant que perception de l’être humain sur le contexte qui l’entoure : une construction cognitive et symbolique de l’espace. Pour Tim Ingold, le paysage est une archive compilant les générations précédentes ayant habité l’espace par lequel l’homme définit son identité [1]. La notion de paysage devient écologique par essence : un équilibre entre l’individu et son environnement.

Les panneaux muraux immersifs de Tadashi Kawamata exposés à la galerie kamel mennour au 6, rue du Pont de Lodi, peuvent également être considérés comme des archives-paysages : un dispositif en feuilleté pour lire l’histoire des interactions entre l’homme et son environnement. Dans la galerie kamel mennour du 28, avenue Matignon, Tadashi Kawamata présente de petits « dessins » conceptuels : une sélection de trois cents œuvres des dix dernières années montrées pour la première fois au public. Ces collages mixtes transmettent la quintessence de la pensée de l’artiste in situ – un espace marqué par la présence humaine.

Tadashi Kawamata explique que ces deux types d’œuvres fonctionnent comme des modèles autonomes et ne constituent pas des esquisses préliminaires à de futures installations. Il les nomme « visions ». Ces « visions » sont le témoin d’une vue d’ensemble de prototypes d’éléments naturels ou construits – soit des typologies universelles induisant une expérience hors échelle. Qu’elles soient miniatures ou colossales, elles fusionnent dans un espace-temps dépourvu de références. Comme l’explique l’artiste, c’est un moyen de maintenir « la distance critique » : observer et comprendre une perspective globale sans oublier l’importance des détails.

La nature méditative de ces grands panneaux communique la persistance du paysage (à travers les êtres vivants et les structures construites) mais aussi ses éléments transitoires tels que les vents, les séismes ou les eaux en mouvement. Les panneaux déploient de vastes panoramas de destruction causés par la collision entre organismes humains et naturels. Dans le même temps, ces paysages abstraits de vestiges évoquent une sédimentation ancestrale des existences vécues et consumées : l’accumulation représentée par l’identité collective. Ils peuvent également être vus comme des environnements désolés plongés dans le chaos – conséquence de catastrophes imprévisibles ayant éteint des pans de civilisation en quelques secondes –, rappelant des villages détruits par les bombardements auxquels nous sommes si souvent confrontés en ces temps de guerre.

Mais Tadashi Kawamata les voit aussi comme des moments récurrents faisant place à la rénovation et la création, dans l’esprit du « Musée de l’accident » de Paul Virilio [2]. Pour lui, une histoire des erreurs, des malentendus et des échecs pourrait être écrite. Cette histoire appartenant à un cycle de disparition et de renouveau sans fin est vectrice d’énergie d’innovation.

Ces panneaux nous révèlent la tension permanente qui existe entre la force brute du paysage et notre civilisation, vulnérable et destructrice. Tadashi Kawamata précise également que le besoin humain de permanence malgré les forces de la nature entraîne des conséquences écologiques désastreuses et souligne que l’architecture est l’agent de pollution du paysage le plus résistant.

Au vu de ces situations cinématographiques, nous sommes confrontés à la capacité du paysage à se transformer dans le champ bidimensionnel du « tableau » : une présence performative générant la transmutation qui raconte l’appartenance à des ères de l’histoire passées ou à venir.

— Marta Jecu

1. Tim Ingold, The Temporality of the Landscape, World Archaeology, 1993, in Conceptions of Time and Ancient Society.

2. Paul Virilio, The Museum of Accidents, publié dans Art Press n°102 (Avril 1986, pp.13-14) : à lire en ligne à l’adresse suivante : https:// public.journals.yorku.ca/index.php/public/article/view/29787/27371