Eugène Carrière
Contemporains
3 févr. - 19 mars 2025
Mennour, 28 avenue Matignon

Mennour présente pour la première fois un face à face entre les photographies d’Eugène Atget et les peintures d’Eugène Carrière, deux contemporains de ce Paris du XIXe qui a vu l’avènement d’une nouvelle modernité.

L’invention de la photographie au début du XIXe siècle a profondément transformé l’histoire de la peinture. Puisqu’il était désormais possible d’enregistrer des scènes réalistes via une camera obscura, quelle place restait-il aux peintres dans leur rapport mimétique à la nature ? Plutôt que rivaliser avec cette nouvelle technique, les peintres les plus audacieux ont cherché à se différencier de l’image figée et « objective » de la photographie, en s’aventurant sur de nouveaux terrains plus expressifs et impressionnistes. En retour, la photographie n’aura eu de cesse de s’émanciper de la technique jusqu’à devenir une pratique artistique à part entière. Quand les photographes luttaient contre le « flou cinétique » de la caméra, les peintres tentaient au contraire de le retranscrire dans le tableau, arguant qu’un modèle même fixe est toujours mouvant tant qu’il est vivant. C’est dans cette ambivalence que se situe le travail d’Atget et celui de Carrière, que la postérité reconnaitra, l’un et l’autre, comme des précurseurs.

Atget et Carrière ne se sont sans doute pas rencontrés bien que contemporains et résidant tous les deux dans les mêmes quartiers. Quand Atget arpentait les rues de Paris pour en documenter les moindres devantures de magasins, les portes cochères qui laissent percevoir les cours d’immeubles ou les rues d’un Paris sur le point de se transformer, Carrière préférait la solitude de son appartement parisien où l’agitation de la vie quotidienne et la familiarité de ses modèles récurrents étaient autant de sources d’inspirations. Carrière n’a jamais pris de photographie pourtant les peintures aux teintes monochromes rappellent celles des tirages sur papier albuminés d’Atget. Chacun procède pourtant avec un même systématisme, reprenant à l’envi les mêmes sujets. Pour Atget ce sont des rues, des détails d’architectures, des fleurs, rarement des personnages. Des photographies dont on perçoit un cadrage de plus en plus précis, de plus en plus construit, en dépit de l’ambition modeste de produire des « documents pour artistes » qu’il affichait sur l’enseigne de son studio. Pour Carrière ce sont sa femme et ses enfants, ses proches pris dans leurs activités quotidiennes qui ont ses faveurs, répétant les mêmes portraits de femmes, souvent la sienne, des maternités et des paysages. Atget comme Carrière cherchant dans l’inframince d’un nouveau détail, le désir sans fin de recommencer. 

— Christian Alandete, commissaire de l’exposition