Ugo Rondinone
a wall . seven windows . four people . three trees . some clouds . one sun .
14 oct. - 23 nov. 2019

Liez ensemble les extrêmes, et vous aurez le véritable milieu.

 — Friedrich Schlegel, Idées

Un mur. Sept fenêtres. Quatre personnes. Trois arbres. Quelques nuages. Et un soleil investissent trois lieux composés d’espaces aux dimensions et configurations complémentaires, tantôt adjacents tantôt superposés. Contenus et contenants forment ici et un tout et témoignent au même titre que les expositions antérieures de Ugo Rondinone d’enjeux aussi dialectiques, mnénomiques qu’intertextuels où objets et éléments architecturaux, vides et pleins se heurtent à des situations et contextes qui relèvent d’un principe d’instabilité. Le proche et le lointain. L’opaque et le transparent. L’avant et l’arrière. Le haut et le bas. L’optique et l’haptique. Les œuvres de Rondinone ne sauraient se résumer et encore moins se conjuguer à un état qui en épuiserait le potentiel. Que dire en effet de ce mur nous conviant à pénétrer dans l’espace ? Mur d’autant plus singulier, qu’il ne dissimule rien si ce n’est ses propres revers et structure. Que dire de ces fenêtres, obscures et réfléchissantes, à travers lesquelles nous ne pouvons pas voir mais qui exacerbent de facto notre pulsion scopique ? De ces figures archaïques dépossédées de traits distinctifs, de ces nuages accrochés au mur, aussi fragiles et massifs que les trois arbres ? De cet arceau doré ? Que signifient ces éléments ? Quels sont les liens les réunissant ? Forment-ils les pièces d’un puzzle que nous sommes invités à reconstituer ? Évoluent-ils dans une même temporalité ? Se déploient-ils en conséquence à midi comme nous le précise le titre (the sun at 12 am) de l’arceau, renvoient-ils au 28 août 2019 (achtundzwanzigsteraugustzweitausendneunzehn) associé au mur, ou relèvent-ils d’un télescopage où l’avant et l’après, l’ici et le maintenant, sont maintenus en (dés)équilibre, un peu à la manière de ces intérieurs qui ne cessent de répondre aux extérieurs ? Intérieur(s) et extérieur(s). La série des fenêtres nous place au cœur de cette contradiction.

Leurs titres empruntés à des tableaux de Caspar David Friedrich nous rappellent l’intérêt manifesté par Rondinone pour l’héritage romantique. Romantiques qui avaient su penser en fragments, ériger oppositions et désaccords, paradoxes et apories en moteurs d’une création jamais figée. Toujours dans un devenir. À la frontière d’une dislocation. Aufgelöst. Or l’œuvre de Rondinone est placée sous le signe d’un perpétuel devenir, l’artiste travaillant à partir de médiums, thèmes, formes, objets, genres et données qu’il réagence, trans- et permute, soumet à des variations infinies qui génèrent des ruptures, percées et avancées mais aussi des retours, répétitions et ressassements. Comme si dans leur instabilité même, les œuvres devaient se plier à cette dynamique tourbillonnaire. À ces va-et-vient entre temps et espaces. Temps à travers espaces. Et réciproquement. Les œuvres dans leur capacité à réifier incessamment ces collisions et passages font dès lors office d’organismes, mouvants de par les temporalités qui les anime et pétrifiés dans leur matérialité, à partir desquels s’opèrent les transformations. Où les choses prennent forme. Les nuages et arbres sont révélateurs de ces moments. Moments de condensation pour reprendre un terme cher à l’artiste. Le temps n’y est pas arrêté. Mais exposé. À l’image de la croissance des arbres et du mouvement des nuages. Ils sont là pour signifier ce qu’ils étaient. Et ce qu’ils, par le truchement des morphogenèses auxquelles ne manquera pas de les soumettre Rondinone, deviendront. Les espaces de la galerie forment, comme l’a écrit Bob Nickas ailleurs, une scène susceptible de convoquer des objets et personnages continuellement revivifiés. Une scène offerte au regard d’un spectateur, à sa mémoire et ses oublis. Cette scène est servie ici par trois lieux. Elle est investie d’un mur. Sept fenêtres. Quatre personnes. Trois arbres. Quelques nuages. Et un soleil. 

 

— Erik Verhagen