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Camille Henrot
Testa di Legno
14 oct. - 25 nov. 2017
Mennour, 6 rue du Pont de Lodi

Un "testa di legno" est un nigaud, un imbécile, un pantin. Une personne incapable de penser par elle-même, plutôt un corps inerte qu’un être créatif.
Véritable produit de consommation dans le système judiciaire, ces "teste di legno" illustrent combien les inégalités d’argent et de pouvoir se traduisent en inégalités face à la liberté. Elles sont un cas d’école pour étudier le lien entre les libertés individuelles et les structures dictant la place de chacun dans la société.
La quatrième exposition de Camille Henrot à la galerie kamel mennour présente sept personnages en bois emprisonnés. Certains sont enchaînés à une clôture basse délimitant un espace qui s’apparente - si l’on en croît les attitudes des personnages, dont l'un porte un ballon tandis qu'un autre soulève des haltères - à un terrain de sport. Les sculptures sont disposées sur une surface quadrillée, tels des pions sur un échiquier, tandis que leurs différentes hauteurs suggèrent qu’il s’agit d’une famille nucléaire. En jouant sur les traductions littérales et figuratives de "testa di legno", ces têtes de bois posent la question des moyens formels et informels de contrôle social.
Les détenus sont constamment observés. Les visiteurs évoluant le long d’une promenade périphérique, scrutent le groupe sous tous les angles, en maintenant une distance sécuritaire. Si la surveillance est un moyen d'exercer un contrôle, les spectateurs et le gardien font tout autant partie intégrante de ce complexe carcéral que les chaînes et les barrières. C’est ainsi que les attitudes des personnages, mimant des loisirs innocents, semblent étudiées pour plaire aux gardiens. On se prend à imaginer que, à l’abri des regards, ces corps pourraient bien se déchaîner et se libérer.
Dans une société disciplinaire, comme en prison, même les activités les plus inoffensives sont observées et surveillées. Figées dans des postures de jeu, ces formes de sablier allongé ressemblent aussi à des quilles de bowling ou à des sculptures kitsch ornant les bars à thème exotique et polynésien : deux symboles absolus du loisir à l’américaine. Pourtant, leurs surfaces nervurées et leurs charpentes squelettiques évoquent le langage visuel du design numérique et de la surveillance informatisée, un monde creux tracé en grilles volumétriques. De plus près, leurs corps se révèlent gangrénés, leurs peaux altérées. Peut-être est-ce symptomatique de l'effort fourni pour protéger sa vie intérieure du contrôle externe.
Un plafond de verre, métaphore bien connue des freins entravant les carrières des femmes, renforce le sentiment que les normes et contrôles sociaux les plus puissants sont aussi les moins visibles et les moins reconnus. Ces injustices proviennent des valeurs acquises dès l'enfance. Le titre de l’exposition est d’ailleurs un clin d'œil à la façon dont on qualifie communément les organisations criminelles de «familles». Le «testa di legno» est le membre de la famille peu respecté et sacrifié pour protéger la liberté du patriarche. Assimilant scène de famille idyllique et tableau de la vie en prison, l'installation suggère que les mêmes ressorts y opèrent, à petites et grandes échelles.
— Ben Eastham

Camille Henrot
Née en 1978 à Paris
Vit et travaille à New York




























































































