Marie Bovo

Stances

8 févr. - 10 mars 2018

Mennour, 6 rue du Pont de Lodi

Présentée pour la première fois aux Rencontres d'Arles dans l’Église  Trinitaire, la série « Cтансы (Stances) » a été réalisée par l’artiste durant l’hiver 2017 lors de longs voyages en train, à travers la Russie. L’artiste nous invite à suivre le déroulé d’un périple sans autre but que lui-même, entre passé et présent, dans un univers de solitude et de poésie, qui paraît à la fois toujours le même et pourtant jamais tout à fait identique.

 

À chaque arrêt du train, Marie Bovo a capturé le paysage qui s’offrait à sa vue dans le cadre créé par les portes ouvertes, puis au travers des fenêtres fermées de ces mêmes trains russes. Par ce procédé méthodique, qui rejoue le mouvement d’obturation de l’objectif, Marie Bovo développe sa recherche sur l’espace et le cadre, qu’elle avait entamée lors de sa série sur les cours intérieures de Marseille, et puis sur les fenêtres des chambres d’Alger. 

La série « Stances »  nous projette du dedans du train vers l’extérieur, sans seuil, ni intermédiaire, dans des paysages de neige et d’hiver. Recouvrant tout sans distinction d’un voile blanc, la neige modifie la structure des lieux, gomme l'horizon, efface les repères, et supprime tout aspect anecdotique ou trop identifiable. Frontières, quais, routes disparaissent pour laisser place à une unité, une intégrité du paysage d’avant ou d’au-delà la présence humaine. Une abstraction radicale, qui, si elle évoque Malevitch, confère également une matérialité inouïe à l’espace. La neige agit en Russie comme une arme, une barrière de protection. C’est un allié immobile.

 

Dans le second ensemble de photographies, les fenêtres sont à la fois le cadre et le sujet. Sur chacune d’elles, on peut lire une inscription  en russe « Не прислоняться » (Ne pas se pencher) dont la typographie varie. Cette interdiction triviale se superpose aux paysages d’hiver, les dissimulant partiellement et leurs donnant un sous-titre. Les vitres des fenêtres apportent une grande richesse d’effets, reflets et déformations aux arrières plans, qui n’apparaissent qu’en transparence, après être passés par ce filtre. Et si pour la série des « portes », les prises de vues sont assujetties aux contingences du trajet et des arrêts du train ; ici le train « n’est plus tributaire de ses "arrêts sur image", il produit, comme le souligne Régis Durand, encore de l’espace, mais comme retourné sur lui-même et sur sa propre histoire ». Le système soviétique basé entre autres sur la restriction constituait des listes interminables et ubuesques d’interdits (« ne pas peindre sa voiture de deux couleurs » par exemple). La somme des restrictions était plus importante que ce qui était autorisé. Aujourd’hui, la restriction reste encore intériorisée en chacun, que ce soit comme autocensure, paranoïa, apathie, ou encore par le recours à « l’ennemi intérieur ».

Rompant avec l'immensité et l’immobilité apparente des paysages de  la série « Cтансы (Stances) », le film « Prédateur, La Danse de l'ours » –projeté sur un cube à échelle animale – offre un contrepoint déchirant à ce long voyage. Les images ont été filmées par Marie Bovo à Mychkine en Russie lors d'une résidence en 2008 pour être ensuite montées sous leur forme actuelle en 2015. Ici, l’infini des territoires est brusquement rompu. Le visiteur se trouve face à un ours brun, enfermé dans une cage si exigüe qu’elle ne lui offre même pas la possibilité de se relever, et dans laquelle  il piétine sans arrêt. Ce long et vain va-et-vient nous prend à témoin de sa condition révoltante, alors que les mouvements répétitifs de la bête se transforment peu à peu en une danse cruelle, désespérée, rythmée par le bruit de ses chaînes raclant le sol de sa cage. La caméra se recule finalement, laissant l’animal à son sort et à sa solitude, et le visiteur à la responsabilité de son propre regard. 

 

Pour sa quatrième exposition personnelle à la galerie kamel mennour, Marie Bovo nous plonge au cœur d’une Europe russe, l’Europe des confins. Dans ce périple d’une mélancolie dynamique, chaque image photographique et filmique, comme le note Anne Valérie Gasc, « serait comme le "blocus" qui transforme un espace de faiblesse, en une place forte, en une enceinte de temps-espace, en un site où tout est là, clairement identifié, dans l’évidence de sa réalité et de son emplacement, un siège au sens quasi-militaire du terme ». (1)

 

(1) L’architecture comme laps de temps, Spatium entretien avec Marie Bovo, Anne Valerie Gasc, mai 2017 (édition ensa-m)