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Spring and Fall
5 oct. - 12 nov. 2016
Mennour, 51 Brook Street, London

Plusieurs cloches de bronze au diamètre de géant sont fracassées à même le sol. Aux cimaises, de grandes toiles — all-over d’encre noire — sont naïvement graffitées, faisant apparaître leurs sédiments de couleurs enfantines. À l’occasion de Frieze et de l’ouverture de son espace londonien, la galerie kamel mennour est honorée de présenter un ensemble d’œuvres inédites de Latifa Echakhch.
Dans une amplitude poétique, l’artiste franco-marocaine fait se rencontrer les remous de la grande Histoire et les gestes de la petite enfance. Elle en redessine des contours inconnus : « L’ailleurs… Je veux habiter ce lieu où le décalage entre la fonctionnalité d’un temps, d’une chose et ses autres destins ouvre des potentialités infinies. Les ruines me parlent. Non pour leur naufrage, mais pour les chemins qu’elles initient. »
Les cloches se sont disloquées en un dernier son. Assourdissant mais à jamais manquant. Ce silence se réverbère dans les temps à venir. Où, depuis les débris monumentaux s’élèvent de nombreuses voix pour « libérer le ciel » 1. On entend celle de Zarathoustra : « Délivrée du bonheur des valets, délivrée des dieux et des adorations, sans crainte et terrible, grande et solitaire : telle est la volonté de celui qui est véridique. 2» On évoque celle de la Révolution française et les lois de la jeune République pour désacraliser l’espace sonore3. On écoute vibrer les palpitations romantiques de l’osmose des cœurs… Saison inaugurale, comme l’est celle de l’enfance.
Les lignes du temps écrivent à l’encre noire des strates de souvenirs et d’oublis. Mais derrière les apparences, rien ne s’efface. Les gribouillis et les jouissances de l’enfance sont prêts à interrompre la surface présente. Latifa Echakhch fait apparaître par intermittence leurs amples mouvements de craie grasse et pigmentée où se tapissent les émotions premières — singulières et universelles. Walter Benjamin l’a écrit : « La saisie enfantine de la couleur porte la vue à son degré le plus haut d’épanouissement artistique […] ; en l’isolant, elle élève cette formation au niveau d’une formation spirituelle. 4»
Au-delà et en-deçà des confins et des formes, Latifa Echakhch pose des gestes d’essor, comme autant de lieux où se tenir debout. Paul Celan y signerait son éclair :
« Du visible, de l’audible, le mot-tente
qui se libère : Ensemble » 5
— Annabelle Gugnon
1. Paul Celan, La Rose de personne, éd. José Corti, 2002.
2. Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, éd. Le Livre de Poche, 1972.
3. Alain Corbin, Les Cloches de la Terre, éd. Albin Michel, 1994.
4. Walter Benjamin, Enfance, éd. Rivages Poche, 2011.
5. Paul Celan, « Anabase », in La Rose de personne, éd. José Corti, 2002.













































































