Louise Nevelson

Solo exhibition

3 juin - 24 juil. 2021

La vie de Leah Berliawsky est un roman. Un roman américain. Née en 1899 en Ukraine, elle migre en 1905 avec ses mère, frère et sœur dans le Maine aux États- Unis afin de rejoindre son père qui s’y est installé deux-trois ans auparavant. On ne sait pas grand chose de son enfance ukrainienne si ce n’est qu’elle a sans doute été témoin des ou échappé in extremis aux pogromes qui déciment alors la communauté juive dans l’empire russe. À partir de là, sa trajectoire est conforme au récit d’une assimilation qui permettra à la jeune et désormais américanisée Louise de gravir les échelons d’une ascension sociale, dans son cas relative et éphémère étant donné que son mariage en 1920 avec Charles Nevelson, frère et associé d’un riche entrepreneur, se soldera assez vite par un échec. Se sentant à l’étroit dans son rôle d’épouse puis de mère, vivant mal le déclassement social consécutif aux revers financiers de la compagnie de son mari, ce récit d’une assimilation s’accompagnera rapidement de celui d’une émancipation qui va encourager Louise à faire de sa carrière artistique sa priorité. Carrière dans les années 20 encore balbutiante, Nevelson étant aussi bien attirée par les arts de la scène – elle s’inscrit dans l’International Theatre Arts Institute créé par Frederick Kiesler et Norina Matchabelli et s’imprègne par ailleurs des spectacles de Martha Graham – que par les arts plastiques. Un voyage initiatique entrepris en 1931 en Europe pour suivre entre autres l’enseignement de Hans Hofmann à Munich scellera son destin de plasticienne même si sa manière d’envisager le rapport entre objets, espace et spectateurs invités à se mouvoir dans et autour de ses sculptures à venir s’avèrera sans doute tributaire de ses expériences kinesthésiques relatives à ses pratiques – elle prendra des cours de danse jusque dans les années 1950 – et réception en matière chorégraphique. Là réside l’une des clés de l’œuvre de Nevelson qui à la différence de certaines démarches contemporaines new-yorkaises n’épousera pas le credo moderniste visant à réduire tout en le délimitant son médium à sa supposée essence. Or le fait d’avoir résisté aux dogmes propres à une école de New York avec laquelle elle entretiendra une relation relativement conflictuelle – ami de Mark Rothko, elle sera méprisée par le grand prescripteur Clement Greenberg – explique en partie qu’elle ait dû attendre ses soixante ans pour se faire un nom.

Résumons son cheminement à quelques étapes : après avoir assisté Diego Rivera dans ses réalisations de peintures murales en 1932-1933, Nevelson bénéficie comme grand nombre de plasticiens états-uniens du programme WPA mis en place par l’administration Roosevelt. Occasion pour elle d’enseigner, d’exposer, de travailler à l’abri de besoins financiers et surtout de se familiariser grâce aux workshops subventionnés par l’État avec les rudiments de la sculpture. Il faut donc attendre 1935-36 pour que le nom de Nevelson soit identifié à ce médium qu’elle fera réellement sien une décennie plus tard avant de trouver son signature style dans la deuxième moitié des années 1950. Dans ce laps de temps, l’artiste aura l’opportunité de collaborer avec des marchands new-yorkais influents. Karl Nierendorf dans les années 1940 et Colette Roberts puis Martha Jackson dans les années 1950. C’est en lien avec des expositions chez ces dernières que Nevelson consolidera sa marque de fabrique – des sculptures produites à partir de bouts de bois de récupération recyclés, assemblés et peints en noir – qui contribuera à faire d’elle l’une des pionnières de l’« installation ». En effet, ses « murs » alimentés par un ingénieux système de modules emboitables lui donneront désormais toute la latitude pour investir les espaces d’expositions mis à sa disposition tout en satisfaisant les demandes « sur mesure » inhérentes à tel ou tel emplacement susceptible d’accueillir ses sculptures. Peu lui importe à ce titre la (re)définition d’un « objet » sculptural compris au sens spécifique et autarcique du terme envisagée par ses jeunes confrères. Seul prime à ses yeux le dialogue généré par ses assemblages avec leur voisinage et l’atmosphère distillée par ses jeux d’ombre et de lumière. Priorités qui affranchiront dès lors Nevelson d’interrogations stylistiques restrictives et qui l’autoriseront selon les cas à passer d’un vocabulaire et d’une syntaxe (pré)minimalistes à des débordements baroques nourris d’éléments symboliques, voire narratifs innervant une mythologie individuelle il est vrai en porte-à-faux avec les tendances dominantes qui vont s’imposer dans les années 1960. Cette décennie correspond à la véritable percée de l’artiste. Après une désastreuse collaboration sans lendemain avec Sidney Janis, elle parie sur un très jeune marchand quasi inconnu, Arnold Glimcher, qui l’avait montrée dans sa Pace gallery à Boston en 1961. On connaît la suite. En l’espace de quelques années, Nevelson, déjà portée aux nues par la critique (Hilton Kramer, Brian O’Doherty, Michel Ragon ou David Sylvester ont défendu son œuvre) et soutenue par des institutions majeures (le Whitney lui consacre une première exposition personnelle en 1967 après que le MoMA l’a associée à des manifestations collectives et « invitée » à la Biennale de Venise), va devenir l’une des plus importantes sculptrices américaines. Ce succès tardif l’incitera à explorer de nouvelles voies et à sortir de sa zone de confort. Le bois peint en noir restera au cœur de son entreprise artistique mais sera complété par des constructions en métal (favorisant des commandes publiques), aluminium ou plexiglass sans oublier les collages auxquels elle se consacrera avec délectation. L’exposition concentrée sur les années 1970 rend compte de la diversité de sa production et de la liberté et inventivité plus que jamais affichées par Mrs. N (nom que lui donneront ses voisins) dans les dernières décennies de sa création.

— Erik Verhagen