Michel François

3 sept. - 8 oct. 2016

Mennour, 5 rue du Pont de Lodi

L’œuvre que Michel François présente à la fin de ce mois de septembre à la biennale d’art contemporain de Rennes, et à laquelle font écho la plupart des objets rassemblés dans sa troisième exposition personnelle chez kamel mennour, porte un titre aussi poétique qu’ambigu : Scène des abandons

 Il s’agit d’une installation rétrospective, un espace catalysant un ensemble d’objets finis et de processus inachevés, une sorte de laboratoire d’idées et d’expérimentations, comme il a pu réaliser, au cours des années 2000, le Bureau augmenté (2000), ou Le Salon intermédiaire (2002). Il s’agit chaque fois d’un type identifié d’espace, associé au travail (le bureau), à l’attente (le salon), et aujourd’hui au théâtre (la scène). On peut remarquer qu’en quelques quinze années, l’artiste est passé d’un bureau augmenté à une scène dite des abandons : le principe de croissance volontariste dans l’espace du travail a cédé la place à un laissez-faire théâtralisé.  Toutefois, l’abandon ici n’est pas à entendre de manière psychologique, en tant que résignation ou renoncement, mais comme un lâcher prise vis-à-vis de la résistance intrinsèque des matières, une observation attentive de leur capacité à prendre forme par défaut, qu’il s’agit de mettre en lumière.

Dans le système vivant que constitue l’œuvre de Michel François, croissance et décroissance ont toujours cohabité, comme dans la nature. Il y a des poussées et des chutes, des projections et des coulées, des érections et des détumescences, des contaminations et des rétractations. Dans tout son œuvre, il est question de production, de valeur, de croissance et de circulation, mais tout autant, et simultanément, d'inertie, de dévaluation, de décomposition, de perte, de dissémination. Le contrôle et l’aléatoire s’y allient en bonne intelligence. Ce « laissez-faire » laisse entendre un rapprochement plus intime encore avec le temps que la nature prend pour donner forme.  
« Laisser l’eau se disperser dans le plâtre. Laisser le vinaigre dissoudre le marbre. Laisser les glaçons fondre. Laisser la pluie creuser les ravins. Laisser le savon étrécir. Laisser le feu tordre la tôle. Laisser la mer user le bois. Laisser le  bronze  en fusion se répandre sur le sol. Laisser toute chose se pétrifier sous l’eau calcaire. Laisser ses pulls s’user aux coudes. Laisser le soleil insoler. Laisser les araignées tisser leurs toiles […] », écrit Michel François.

L’artiste crée une forme de continuité entre ce qui est et n’est pas (encore) de l’art, propose une définition de l’art comme un moment, avec des gestes en amont, des formes en aval. Celles-ci sont subitement figées, comme gelées dans leur mouvement.  Ainsi au 28 avenue Matignon, la résille produite par le bronze lorsqu’il est projeté à même le sol est relevée au mur et forme un tableau, comme une explosion arrêtée en pleine déflagration ; les plaques de tôle où l’insistance du chalumeau a produit une constellation d’yeux sont chromées, étincelantes, intouchables, comme refroidies. Des concrétions de plâtre, extraites à l’aveugle d’un bac où est glissé un tuyau d’arrosage, sont patiemment poncées et tranchées. La légitimité de ces formes, issues de protocoles empiriques, ne doit justement pas pour Michel François reposer sur une mythologisation de leur processus. C’est comme objets finis que leur existence doit aboutir. Là réside la mise en scène, en tant que disposition pour le regard, qui manifeste au spectateur l’artificialité même d’interrompre le flux continu de la métamorphose des matériaux. 

 

— François Piron, août 2016