Marie Bovo
Les forêts d’Hypnos
5 févr. - 19 mars 2025
Mennour, 5 rue du Pont de Lodi

«… une plante a la mémoire de la lumière : elle se souvient de la couleur des derniers rayons qu’elle a captés. Si c’étaient des rayons infrarouges et qu’ensuite aucun autre type de rayons n’est arrivé, alors la plante peut être certaine : c’est la nuit. […] C’est ainsi sa très grande sensibilité à la nuit qui fait qu’elle sait quand vient l’automne, l’hiver et quand revient le printemps. »

— Estelle Zhong Mengual, Apprendre à voir

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Mennour est heureux de présenter la sixième exposition personnelle de Marie Bovo à la galerie.

Peu avant que la nuit tombe, dans des lieux soigneusement choisis après les avoir arpentés de jour, Marie Bovo installe ses chambres photographiques dans la forêt, à l’endroit où elle pressent que la lumière de la Lune déposera sa clarté. Entre Nice et Marseille sur les rivages de la Méditerranée, là où la pollution lumineuse ne contredira pas la nuit, elle laissera se composer lentement, très lentement, à la surface du plan-film, des images qui portent en puissance les songes des forêts elles mêmes. Pour cette nouvelle exposition à la galerie Mennour, la photographe convoque donc la figure de l’artiste en faune : elle n’agit pas en oeil extérieur mais se fond aux massifs forestiers qui l’accueillent.

Au loin, l’horizon dessine une ligne imaginaire, jamais tout à fait engloutie par une obscurité qui s’étendra à mesure que le soleil disparaîtra derrière la mer — tard, de plus en plus tard en plein été, vite, très vite quand l’automne se transforme en hiver. Pour atteindre ces lieux qu’elle ne quittera qu’à l’aube, des Massifs de l’Esterel au printemps à ceux des Maures et du Tanner on en novembre, la photographe a souvent marché plusieurs heures dans des sentiers de garrigue, parmi les ronces et les buissons de genévriers, lestée de son matériel photographique dont l’oeil aveugle accueillera ce qu’elle-même ne pourra entièrement voir. Les sites choisis, mis à l’abri des présences humaines le temps de la nuit, augurent la promesse d’une vie animale, végétale et minérale active. Des lieux empreints d’une énergie différenciée que Marie Bovo a rencontrée au hasard de ses explorations ; des lieux sans point de vue spécifique, où les arbres sont les fils d’une tapisserie qui tantôt guident le regard, tantôt l’obscurcissent, lui font écran.

Malgré les intempéries, la pluie parfois, il faut que tout soit prêt pour la photographie, que le temps puisse suspendre son allégeance au jour, au cours usuel des choses, pour laisser s’installer la pose dans le défilement de secondes, de minutes et d’heures chronométrées intuitivement selon la trajectoire de la Lune. Et si l’obscurité donne l’impression de tout recouvrir, le silence, lui, n’est jamais total. Ici et là, invisibles, bruissent toutes sortes de créatures, des minuscules aux plus étonnantes. Au coeur de la nuit, le souffle d’un vent agite soudainement les cimes de la canopée, surgissant comme une présence fantôme dans le silence. Ces forêts, ces maquis, respirent en territoires blessés perpétuellement menacés par le feu.

Tapie au milieu des bois, mi-éveillée, mi-endormie, l’artiste rêve. Elle rêvera d’ailleurs chaque nuit d’une pleine Lune tant redoutée dans l’imaginaire collectif quand, en réalité, la puissance de sa clarté scintillante devient un aimant dans l’obscurité. Et c’est bien l’étrangeté de cette lumière, émanée de la seule face visible de la Lune, qui permettra aux gris argentés des oliviers, aux bleus indéfinissables des pins d’Alep, aux ocres, aux violets des chênes lièges, teintes d’un paysage en perpétuel mouvement, de s’inscrire en creux de l’unique négatif où ils se déposeront, à mesure que les astres poursuivent leur révolution et que la nuit glisse vers le jour.

À chaque phase choisie dans le calendrier lunaire, devenu son bréviaire de travail, Marie Bovo sait qu’elle découvrira, à postériori seulement, ce qu’elle était venue chercher — l’image d’une présence autant que celle d’un espace.

La pluralité des arbres et des organismes sylvestres à l’oeuvre dans « Les forêts d’Hypnos » interroge la notion de composition dans l’art actuel : en serait-elle la métaphore ? Les relations d’échanges et d’entraides que la forêt crée, les compositions diversifiées qu’elle incarne pour maintenir collectivement en vie les sujets, recèlent un réseau de forces auprès desquelles trouver continuellement matière à se réorienter vers un futur ouvert.

— Marcelline Delbecq