Cet épisode tragique débute à la fin des années 1980 par des manifestations de rue dans tout le pays. Quelques années plus tard, une intervention militaire empêche la victoire électorale du Front islamique du salut (FIS) et aboutit à la destitution du président en exercice. Au cours des années 1990, l’Algérie s’enfonce alors dans une violente guerre interne, opposant des groupes armés islamistes à l’armée algérienne, et causant la mort d’environ 200 000 civils.  

Zineb Sedira a choisi de regarder cette séquence de l'histoire algérienne contemporaine, peu connue à l’étranger et évoquée avec réticence en Algérie, par le prisme de l’humour et de la plaisanterie – considérés comme des éléments constitutifs de la résilience et de la résistance. Elle cherche à susciter des prises de conscience autant que des éclats de rire chez les visiteurs.  

À la fin des années 1980, en effet, les vignettes humoristiques et les caricatures politiques prospèrent dans la presse où elles permettent de commenter les violences quotidiennes et la terreur. Les Algériens, connus pour leur humour noir, trouvent, à huis clos et malgré la guerre psychologique qu’ils subissent, un peu de réconfort en tournant en dérision l’innommable, et en diffusant oralement par le biais d'histoires drôles les nouvelles les plus épouvantables. Ces plaisanteries politiques, qui ont cours encore aujourd’hui et font toujours rire les gens, ont été rassemblées par Zineb Sedira et retranscrites dans son livre d’artiste A Personal Collection of Jokes (2018). 

À la manière d’un musée miniature immortalisant l'ironie sardonique et mordante de la « décennie noire », l’installation Laughter in Hell (2014-2018) présente les archives accumulées par Zineb Sedira depuis plusieurs années. Les visiteurs découvrent ainsi dans des vitrines des publications rares consacrées aux caricatures d’infatigables dessinateurs bien connus tels que Slim, Ali Dilem, Gyps, Hic ou Maz. Ils sont confrontés à de grands formats de reproductions de caricatures politiques initialement publiées dans des journaux tels que El Watan, El Khabar ou Liberté ; ou encore à des planches originales et d’autres spécialement créées pour cette exposition par Gyps et Dahmani. Deux interviews vidéo récentes menées avec l'historienne Elisabeth Perego et le journaliste et écrivain Mustapha Benfodil complètent cette anthologie personnelle de l'humour noir. 

« Qu'est-ce qui a un stylo à la main, deux dinars dans la poche et trois balles dans la tête ? », interroge un humoriste algérien. L'installation The Forgotten [Condemned] Journalists of Algeria’s Black Decade (2018) donne la réponse à cette énigme, avec les listes encadrées de près de 100 journalistes et caricaturistes assassinés, portés disparus ou menacés entre 1993 et 1997 en Algérie. En regard, une machine à écrire pourrait encore élargir cet hommage à d’autres victimes du terrorisme, les employés de l'hebdomadaire Charlie Hebdo. Zineb Sedira dédie ce mémorial à ceux qui, selon le journaliste et survivant de « la décennie noire » Mustapha Benfodil, « [narguent] au passage ceux qui voulaient nous précipiter dans les limbes, nous couper l’appétit de vivre et nous priver de l'un des droits fondamentaux de l’être humain : la bonne humeur ».  

ACTE II Scène 1 
Échos d'une rencontre impromptue au paradis. 
CABU: Peut-on encore rire de tout ?
PIERRE DESPROGES: [...] alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce-qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ?
Ils éclatèrent de rire.  

— Yasmina Reggad, Octobre 2018