Neïl Beloufa

La morale de l’histoire

5 sept. - 5 oct. 2019

Mennour, 6 rue du Pont de Lodi

C’est l’histoire d’un chameau déshydraté post-capitaliste qui fait construire un mur par de jeunes et dynamiques fennecs aux dépens des fourmis travailleuses… 

À l’image de la fable qui l’accompagne—à la fois objet littéraire, récit fictif et allégorie—, la première exposition personnelle de Neïl Beloufa à la galerie kamel mennour est stratifiée, à choix multiples. D’un seul geste et à travers les possibilités protéiformes qui caractérisent sa pratique, Beloufa ébauche plusieurs propositions dans un même mouvement et au sein du même espace, comme s’il superposait les calques sur Photoshop, comme s’il copiait-collait esthétiques et discours en théorie incompatibles. L’exposition, mariée mise à nu. 1  post-digitale, présente une instabilité de sens qui demande au spectateur de changer le paradigme qui le rapporte aux oeuvres : il ne s’agit plus d’être dans une configuration autoritaire et/ou démocratique et/ou participative mais de se faire à l’idée que le sens ici, s’il en est un, est non-réductible, malléable et subjectif.  

 

Tout d’abord il y a les objets : nus, froids, ‘modernistes’. Des bancs/sculptures qui tournent sans sens fixe, des totems au statut hybride, des bas-reliefs abstraits comme autant de tentatives de forme pure qui perdent leur autonomie et leur efficacité au contact des projections dont ils deviennent les supports. Couleurs néo-pop, esthétique game-boy ou cartoons, films de vacances viennent divertir—et faire diversion. Et puis il y a les tableaux de chiffres, ersatz d’art conceptuel, vestiges mélancoliques d’un discours sur le labeur. Esthétiques et discours cohabitent, ils sont incertains, précaires et contradictoires dans leur simultanéité répondant à une culture horizontale où la hiérarchie entre les informations n’a pas de valeur, et où les signes de l’existence des phénomènes remplacent les phénomènes. 

Cette aporie résulte d’une pratique où l’exposition est “système” : elle questionne ses propres conditions de production et les intègre en son sein, fragilisant par là même le ciment rhétorique qui conditionne son existence. D’ordinaire, à travers ses films, Beloufa met à mal le ‘déni de vraisemblance’ du regardeur : il twiste la suspension du sens critique qui sous-tend toute adhésion aux fictions contemporaines—cinématiques mais aussi politiques, économiques, métaphysiques. Ici, il va plus loin en intégrant de manière décomplexée les stratégies d’entertainment à la construction de l’exposition. Disneyland façon do-it-yourself, on est à la foire mais aussi au musée mais aussi chez l’artiste. Le chameau allégorique devient la mascotte qui “immortalise le rêve dans le regard des visiteurs”. Faire rêver, c’est un métier. 2  

 

— Myriam Ben Salah

 

1.     Cf. Valentina Bartalesi, ATP Diary, 2019 

2.     Disneyland Paris