pascALEjandro
L’androgyne alchimique
4 sept. - 9 oct. 2021
Mennour, 47 rue Saint-André-des-Arts

Kamel Mennour est heureux de présenter « L’androgyne alchimique », une exposition exceptionnelle consacrée à pascALEjandro. Depuis une quinzaine d’années, Pascale Montandon-Jodorowsky et Alejandro Jodorowsky créent une œuvre picturale à quatre mains, tel un « enfant spirituel », dont le nom d’artiste est la fusion de leurs prénoms respectifs, pascALEjandro. Produit de leur union amoureuse et artistique, ce noyau de création magique représente une conception de l’amour et de la vie, à la fois passionnée et humaine.
Kamel Mennour : Chère Pascale, cher Alejandro, aujourd’hui je m’adresse à pascALEjandro, votre enfant spirituel, dont je suis impatient de présenter les œuvres à la galerie très prochainement. Pouvez-vous d’abord m’en dire plus sur la genèse de pascALEjandro : comment est-il né ?
pascALEjandro : pascALEjandro est né de notre amour. Lors de notre rencontre, nous ne sommes pas seulement rencontrés, nous nous sommes reconnus. Cet amour nous a précédés, car l’univers a voulu que les trois dernières lettres du prénom de Pascale soient les trois premières du prénom d’Alejandro. Puis l’univers a voulu que nous n’ayons pas d’enfant : nous nous l’étions proposé, malgré notre différence d’âge, mais la nature a fait que cela n’arrive pas. Ainsi est venu au monde pascALEjandro, enfant symbolique qui participe de la même énergie que si nous avions eu un enfant bioloqique : c’est le fruit de notre amour et cette troisième entité qui n’existerait ni sans l’un ni sans l’autre évolue et grandit, ayant sa propre autonomie. Cette création à deux est probablement dans notre cas encore plus forte que si nous avions eu un enfant biologique. Nous coïncidons à plusieurs niveaux : l’intellect, l’émotionnel, le sexuel et le corps (ce qui correspond aux quatre as du Tarot : épée, coupe, bâton, denier) et ces éléments continuent de se développer. C’est pourquoi pascALEjandro est sans cesse en état de développement.
Kamel Mennour : Comment pascALEjandro a-t-il commencé à travailler ?
pascALEjandro : Pascale et Alejandro avaient chacun un idéal amoureux très fort. Alejandro voulait partager sa vie avec quelqu’un qui comprenait l’art comme lui, il souhaitait idéalement une femme peintre, avec qui pouvoir vraiment échanger. Pascale attendait cette rencontre comme une prémonition. Elle était capable de décrire Alejandro avant même de le rencontrer, sans même savoir qui il était. Il y a dix-sept ans, après s’être rencontrés lors d’une séance de lecture du Tarot, Alejandro est allé à la galerie où Pascale exposait et a acheté l’un de ses tableaux, sans même le voir ! Puis nous nous sommes mis en couple presque instantanément. Pascale a découvert des dessins qu’Alejandro avait faits longtemps auparavant. Il lui a proposé de les mettre en couleurs mais elle ne voulait pas toucher à l’intégrité de ces précieux dessins d’archives. Alors Alejandro lui a proposé d’en faire de nouveaux pour qu’elle les complète avec ses couleurs. Ainsi est née cette œuvre à quatre mains sous un seul nom : pascALEjandro.
Kamel Mennour : Quand je parle de cette exposition, les gens me disent qu’Alejandro lisait les Tarots gratuitement dans les cafés de Bastille. Vous vous êtes d’ailleurs rencontrés grâce au Tarot il me semble. Est-ce que pascALEjandro utilise les Tarots ?
pascALEjandro : Oui, nous nous sommes rencontrés par le Tarot parce qu’effectivement, durant plusieurs décennies, Alejandro a lu le Tarot dans un café de Paris gratuitement à des milliers de personnes venues du monde entier. Il le faisait comme un don à l’humanité. Pascale est venue à l’une de ses lectures et leur rencontre a été une révélation commune. Il faut savoir que le Tarot est pour Alejandro un langage sacré. Quand on mémorise les cartes, elles entrent dans l’inconscient comme une architecture qui oriente la pensée. Presque tous les jours, Alejandro lit le Tarot, de telle sorte qu’il l’a absorbé. On doit être dans un état quasi de sainteté pour le lire sans risque de prise de pouvoir sur autrui et être dans un état de bienveillance absolue et de non-jugement de l’autre. Chaque jour Alejandro découvre des nouvelles manières de le lire, comme une création perpétuelle qui se révèle à soi, et Pascale est sa première spectatrice émerveillée puisqu’il l’expérimente sur elle. Le Tarot est l’exploration d’un monde, un objet de connaissance de soi. Il donne des clés de compréhension du présent en analysant le passé pour pouvoir agir dans le futur. En somme, le Tarot est très présent dans la vie de pascALEjandro, comme un guide bienveillant.
Kamel Mennour : pascALEjandro est donc instruit par le Tarot. Y a-t-il une influence sur les œuvres ?
pascALEjandro : Notre peinture a un contenu émotionnel et spirituel que le spectateur doit découvrir. Personne ne sait véritablement ce qu’on a voulu exprimer. Par exemple, avec YES, on ne sait pas s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. La figure dit Yes. Mais à quoi dit-elle oui ? Pourquoi ? Découvre ce que je suis. Voilà le message. Dans nos tableaux, il y a deux points de vue comme dans le Tarot : chaque arcane n’est jamais foncièrement positif ou négatif mais son sens dépend de la manière dont les cartes sont placées. L’arcane XIII par exemple, qui peut figurer la mort, peut être aussi un signe de grand changement, de transformation. Dans nos œuvres, c’est similaire en ce sens que la signification n’est jamais fermée et définitive. On s’est rendu compte avec fascination que selon la personne qui les regarde, l’interprétation peut complètement changer en fonction de sa psychologie, son histoire, sa sensibilité... et cela dit toujours quelque chose de juste en nous montrant parfois même des aspects qui nous avaient échappé.
Kamel Mennour : Cela veut dire que le spectateur a une place.
pascALEjandro : Absolument ! Le spectateur fait partie de la création du tableau. C’est un champ ouvert, il n’y a pas d’interprétation fermée. C’est une fenêtre, une ouverture sur un monde qu’on ne veut pas cloisonner, dans lequel chacun doit s’y retrouver, y lire des choses qui s’adressent directement à lui, exactement comme dans le Tarot. Il y a d’ailleurs un autre parallèle entre le Tarot et notre peinture. Lorsqu’Alejandro lit le Tarot, il a une capacité à s’abstraire car il est fondamentalement un artiste, qui plus est reconnu. Il n’a donc pas besoin du Tarot pour exister aux yeux des autres. Il peut donc le faire presque comme un saint le ferait. De la même manière, lorsque l’on fait une œuvre à deux comme nous le faisons, qui est plus qu’une œuvre de collaboration puisque ce n’est pas Pascale et Alejandro, ou Alejandro et Pascale, c’est pascALEjandro, cela signifie que chacun de nous se fait invisible pour laisser la place à cette troisième entité née de notre union. C’est en quelque sorte un très bon exercice pour l’égo parce que nous considérons qu’un artiste doit se mettre au service de son œuvre et pas de son propre égo. Là de fait, nous y sommes obligés. Travailler ensemble, c’est le sacrifice de l’égo et c’est la merveille de créer à deux.
Kamel Mennour : Vous avez d’ailleurs travaillé ensemble pour le cinéma également. Comment se différencie le travail entre les films et les dessins ?
pascALEjandro : Il y a deux choses distinctes. Lorsque c’est pascALEjandro qui crée, Pascale et Alejandro sont au même niveau et s’effacent pour laisser place à cette troisième entité, transpersonnelle. Les dessins sont un principe de création commune. Le support est alors graphique et pictural mais cela peut évoluer vers autre chose, le cinéma par exemple. Les couleurs de La Danza de la Realidad, Poesía Sin Fin et de Psychomagie, un art pour guérir ont ainsi été créées par pascALEjandro.
Par ailleurs, lorsque Alejandro Jodorowsky réalise un film, l’équipe à qui il fait appel va se mettre au service de sa vision. Y compris Pascale qui a créé les costumes de La Danza de la Realidad et de Poesía Sin Fin et a été la directrice de la photographie de Psychomagie, un art pour guérir. Dans ce cas, elle met sa créativité au service de la vision d’Alejandro qui est le réalisateur du film et son principal créateur.
Pour nous, il n’y a pas de séparation entre la vie et l’art. Tout est uni dans un principe ouvert de création commune ou de vases communicants entre les créations respectives de chacun de nous deux.
Kamel Mennour : Au sujet de la couleur justement, Pascale, est-ce qu’il y a une codification ? Quand tu réceptionnes les dessins faits par Alejandro, est-ce que tu sais déjà quelles couleurs tu vas utiliser ?
Pascale : C’est principalement intuitif. Alejandro considère qu’il reçoit ses dessins de son inconscient. Lorsqu’il me les confie, je m’attache d’abord à en absorber le climat. Ensuite je répartis mentalement les zones de lumières et d’ombres, de chaud et de froid, puis les couleurs arrivent comme dans un rêve. Ce qui est étonnant, c’est que lorsque je travaillais seule, ma gamme colorée était volontairement très limitée aux couleurs plutôt froides, voire parfois pas de couleur, des noirs, des gris, de la lumière surtout, même dans l’obscurité... Quand j’ai commencé à mettre en couleurs les dessins d’Alejandro, élargir le champ chromatique a été une évidence et aujourd’hui il n’y a plus aucune limitation. Je les laisse venir à moi parce que je crois que les couleurs sont avant tout de la lumière. La couleur vient dialoguer avec le dessin, lui donner corps et chair. Dans l’évolution formelle de pascALEjandro, on peut noter que le trait et la couleur fusionnent de plus en plus. Je m’autorise plus à rentrer dans le trait avec la couleur mais avec amour bien sûr, ce que j’osais moins faire avant car je sentais que par respect, il ne fallait absolument pas toucher au trait d’Alejandro et d’une certaine manière, j’empêchais involontairement la fusion qui s’opère maintenant. Finalement, l’un ne peut pas exister sans l’autre. On a la sensation émouvante que lorsque Alejandro termine un dessin, la couleur vient le révéler. Mais la couleur seule n’aurait aucun sens sans le dessin, bien évidemment.
Kamel Mennour : Et la psychomagie, comment intervient-elle ?
pascALEjandro : La psychomagie est une thérapie créée par Alejandro qui guérit des troubles psychologiques par des actes et non par la parole en s’adressant directement à l’inconscient. La guérison ne vient pas des mots mais des actes. Une fois le problème ou le fantasme identifié, Alejandro propose de faire un acte poétique pour s’en libérer puisqu’on peut parfois comprendre intellectuellement une situation sans parvenir à la résoudre. Il y a une œuvre dans laquelle il s’agit du fils d’Alejandro mort à vingt-quatre ans. Sur ce tableau on voit Teo selon deux éclairages : l’événement tragique de sa mort et en même temps le caractère joyeux de la fête au cours de laquelle il a vécu ses derniers instants. Le représenter ainsi est une façon d’exorciser cet événement dramatique. La psychomagie aide d’une certaine façon à réaliser la catharsis qui peut nous aider à sortir de situations difficiles ou douloureuses en les faisant accepter par notre inconscient.
Kamel Mennour : Pour finir, j’aimerais que vous me parliez de pascALEjandro forever. Ce dessin représente un tombeau avec une photo de vous deux entourés d’abeilles surdimensionnées. C’est une œuvre très singulière...
pascALEjandro : Cette œuvre illustre notre propre mort. C’est aussi un acte de psychomagie : exorciser la terreur de la séparation et de la mort en général. C’est presque une façon de l’accomplir, de la réaliser de manière symbolique et métaphorique pour exorciser cette peur. Alejandro ayant quatre-vingt-douze ans et demi, on considère qu’il a une jambe dans l’autre monde, mais finalement la mort peut survenir à tout moment, à tout âge et le plus terrible est alors la séparation. Nous faisons face : nous ne pouvons pas ignorer que nous sommes mortels. Nous nous sommes donc posé la question : et si nous mourions ensemble ? Ainsi nous n’avons pas peur. Avoir la conscience du temps donne un poids aux choses et cela nous rend d’autant plus essentiel de vivre notre amour et de réaliser notre œuvre. D’une certaine manière, c’est une chance d’avoir cette épée de Damoclès au-dessus de nous parce que cela nous a fait prendre conscience de beaucoup plus de choses, beaucoup plus vite et nous vivons désormais dans un présent éternel.
Kamel Mennour : Un amor sin fin...

pascALEjandro
Née en 1972 à Paris, Pascale Montandon-Jodorowsky est peintre, photographe, costumière et scénographe.
Né en 1929 à Tocopilla, au Chili, Alejandro Jodorowsky est cinéaste, poète, auteur de bandes dessinées et créateur de l’art psychomagique.























































































