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Mohamed Bourouissa
Hustling
17 oct. - 5 déc. 2015
Mennour, 47 rue Saint-André-des-Arts

Ils sont des centaures urbains, des street-cavaliers qui galopent à la débrouille. Ils habitent un quartier nord de Philadelphie, on les nomme les Riders de Fletcher Street. Ils montent leurs chevaux au milieu des voitures, vont jusqu’au parc et reviennent mais se la jouent cow-boys de western… Au cours d’une résidence artistique de neuf mois, Mohamed Bourouissa a partagé leur quotidien. Et leur a proposé, dans son anglais balbutiant, d’organiser un « Horse Day » : une journée de compétition où, alliés à des étudiants de l’école des Beaux-Arts de la ville, ils apprêteraient leur monture en habit de parade. Les plus valeureux gagneraient. Une des vidéos montre les mois d’approche et l’autre le fameux « Horse Day » avec la remise des trophées sculptés par l’artiste.
« Hustling », la troisième exposition personnelle de Mohamed Bourouissa à la galerie kamel mennour, met en scène cette expérience en une installation où plateau et coulisses offrent de multiples entrées. Tant sémantiques (rencontres, mythographies, classes et relations sociales) que formelles (vidéo, sculpture, photographie, agencement)… La question centrale y est celle de l’altérité. Car l’intérieur et l’extérieur, le centre et la périphérie, l’autre et le même sont au cœur du questionnement de l’artiste franco-algérien. L’œuvre « Temps mort » (2009) avait marqué les esprits. Un détenu ami de l’artiste lui envoyait, à l’aide d’un téléphone portable, des vues de sa prison. La place du dehors et du dedans s’en trouvait déboussolée. Comme dans la série de photographies « Périphérique » (2008) où les marges occupaient le centre et comme dans « All-In » (2012), médailles à flux tendus entre la vénérable Monnaie de Paris et le rappeur français Booba.
Mohamed Bourouissa opère des translations entre différents mondes, des carambolages où se heurtent des pans de vérité. Ces révélations bousculent la réel en y introduisant le pouvoir de l’imaginaire. « L’imaginaire existe profondément, affirme le plasticien. Il permet de téléscoper le présent pour produire des futurs. La question de l’imaginaire est fondamentalement politique. » Car l’art interpète, rebat les cartes, rejoue les destins. Ici, les mythologies contemporaines sont désossées en parcelles de vies. La voiture et la moto sont, comme le cheval, des prolongements du corps, des puissances de déplacement et de faire-valoir. Éclaté en ailes, capots, portières, le mythe devient support à des fragments d’existence. Le vrombissement des moteurs et le galop des chevaux propulsent les corps et les paysages vers un imaginaire d’images de films, d’histoires de cow-boys et d’Indiens, de peintures rupestres et de montures nobles peintes par Ucello et Géricault…
Mais les chevaux de Fletcher Street ne sont pas des chevaux de premier rang. Ils évoluent dans une économie du chacun pour soi au seuil de la pauvreté. La vidéo projetée sur un capot le montre. C’est l’arrière-cour. On y entend l’échange crispé du maquignon et de son acheteur désargenté. Le cheval est effrayé, il est victime de la transaction et de la tension. Juste à côté, Mohamed Bourouissa a installé une sculpture. Le néon, corne lumineuse de la licorne, éclaire une autre direction. L’animal fantastique ouvre la possibilité de l’utopie, de l’invention, du changement. Comme Rossinante, le cheval efflanqué de Don Quichotte, elle trotte vers les visions qui modifient les limites entre imaginaire halluciné et réel réinventé. Des frontières que Mohamed Bourouissa ne cesse de déplacer en réécrivant le monde.
— Annabelle Gugnon

Mohamed Bourouissa
Né en 1978 à Blida, Algérie
Vit et travaille à Paris, France



















































































