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Matthew Lutz-Kinoy
Bowles
6 sept. - 6 oct. 2018
Mennour, 47 rue Saint-André-des-Arts

À l’origine de cette première exposition de Matthew Lutz-Kinoy à la galerie kamel mennour, il y a le souvenir vivant d’un voyage entre l’Orient et l’Occident : l’imaginaire de Tanger figé dans les rêveries éthérées de ces écrivains et artistes américains qui fuyaient l’ennui de leur vie pour coloniser les lieux, les choses et les corps.
« Aujourd'hui encore l'image de Tanger reste à peu près inchangée. Les gens y viennent toujours en rêvant de se plonger dans l'atmosphère faite d'excès et de prodigalité qui régnait ici dans les années quarante ; parfois, ils prétendent même que le rêve est devenu réalité. », écrivait Paul Bowles à la fin de sa vie, celui qui a le mieux décrit, avec une ironie cruelle, la fascination orientaliste d’une élite culturelle.
C’est en partie la vie des Bowles que l’exposition réfléchit et découpe, celle de Paul et Jane, couple infernal, nomade, couple homo qui a erré, ensemble et séparément, dans l’interzone de Tanger, aspiré par le commerce des amants et des drogues, prédateurs livides glissant dans les ruelles labyrinthiques de la ville blanche. Only lovers left alive… Ce sont bien eux qui figurent dans les tableaux de l’exposition, Paul dans une posture obscène balthusienne ; Jane, elfe torturé, dont le dessin naturaliste fait revivre le destin tragique et grotesque.
L’exposition trouve son origine dans ces visions exotiques d’une ville frontière, paradis, mirage et lieu de décadence, de perte et de possession. Mais aussi dans l’énergie sourde et tumultueuse de la lumière, la vibration de la couleur, et la puissance de la représentation animalière. Les bêtes de Matthew Lutz-Kinoy rejoignent les grandes figures mythiques de Géricault, ses chevaux volants, et les fauves de Delacroix, où la représentation de la morphologie, du mouvement, de la violence est renforcée par l’intensité nerveuse des couleurs pures.
Ces sensations d’Orient permettent à Matthew Lutz-Kinoy d’introduire quantité de détails, de figures et d’ornements dont la coloration, la platitude ou l’éclat viennent pacifier ou exciter les parties du tableau. Comme ces fleurs poétiques et vénéneuses, nées d’une fureur de peindre que l’on dirait infinie. Il n’y a pas de modèle véritable à ces fleurs exubérantes, ni œillets ni pivoines. Ce sont des impressions d’une végétation inventée, l’idée d’un jardin et d’une surface chromatique, l’idée du rouge comme unique horizon.
De l’image du couple Bowles à celles peintes à la surface des bowls, grands bassins en céramique remplis d’eau et disposés sur le sol de la galerie, Matthew Lutz-Kinoy introduit dans le langage de l’exposition des effets d’homonymie ou d’homophonie, c’est-à-dire une ambiguïté entre les sujets et les choses, les lieux et les temps, un passage indécidable entre les référents et les signifiants.
Dans l’œuvre de Matthew Lutz-Kinoy la céramique occupe une place très particulière et ces bassins inspirés de la faïence hispano-mauresque, caractérisés par la fabrication à émail stannifère, les verts et manganèse, les décors bleu et blanc, composent un jardin mobile, paysage réfléchissant qui interagit avec la structure flottante des peintures et l’architecture de la galerie. À travers ce dispositif totalisant, constitué de pièces toutes inédites, on retrouve la logique interne des expositions précédentes de l’artiste : la volonté d’enfermer dans un lieu clos des espaces extérieurs, les temps et les époques, les formes et les goûts ; l’idée de constituer un lieu de tous les temps qui soit lui-même hors du temps et qui serait pourtant celui de notre modernité.
— Stéphanie Moisdon

Matthew Lutz-Kinoy
Né en 1984 à New York, États-Unis
Vit et travaille à Paris, France
























































































