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Petrit Halilaj
ABETARE (Fluturat)
1 déc. 2017 - 27 janv. 2018
Mennour, 6 rue du Pont de Lodi

Tout peut changer mais pas la langue que nous portons en nous, ou plutôt qui nous porte en elle comme un ventre plus exclusif et plus définitif que le ventre maternel.
— Italo Calvino, Ermite à Paris
Le travail de Petrit Halilaj est profondément lié à l'histoire récente de son pays, le Kosovo, et aux conséquences des tensions politiques et culturelles dans la région. Cependant, si elle fait appel à la mémoire collective, sa pratique trouve souvent son origine dans son expérience personnelle et est généralement le résultat d'un processus intime, d’un moment partagé avec quelqu'un qu'il aime. Sa manière unique et parfois irrévérencieuse de défier de façon ludique l'essence de la réalité aboutit à une réflexion profonde sur la mémoire, la liberté, l'identité culturelle et les découvertes de la vie.
Pour sa deuxième exposition personnelle à la galerie kamel mennour à Paris, Petrit Halilaj présente sa série intitulée ABETARE. Le projet a été créé pour son exposition personnelle au Kölnischer Kunstverein de Cologne (2015) avant d’être encore développé en 2017 à la Fondazione Merz à Turin, où il a reçu le prix Mario Merz.
"ABETARE" est le titre du manuel de lecture de l'artiste quand il était enfant, l’abécédaire traditionnel où chaque lettre de l'alphabet est associée à un dessin et un mot commençant par cette lettre. Petrit Halilaj, comme tous les enfants de sa génération, a appris l’albanais sur ce livre alors qu'il fréquentait l'école primaire du village kosovar de Runik entre 1992 et 1997. À cette époque, l'oppression de la population albanaise du Kosovo par le gouvernement serbe était extrême. Le livre est alors devenu une composante essentielle de leur identité culturelle, se transmettant de génération en génération. Petrit Halilaj propose ici une reproduction ludique de ce livre, page à page, sous forme de papier peint, qui rappelle le processus d'apprentissage familier, où, en plus de l'alphabet, les fondements de la société sont illustrés par des scènes de la vie quotidienne.
Étonnamment, de nombreux dessins du livre sont en lien direct avec la vie et la pratique de l'artiste. La page correspondant à la lettre "P" dans le livre évoque un garçon nommé Petrit qui joue avec des poules ("Pulat e Petritit"), un animal souvent représenté dans le travail de l'artiste. Sur une autre page, on peut voir un garçon qui façonne un fil métallique pour créer des lettres. Et enfin la lettre "F" pour "Fluturat" (papillons) est une parfaite introduction à la nouvelle série de dessins présentée ici, puisque l'artiste a minutieusement dessiné à l'encre noire des papillons de nuit sur cette page du livre. Ces insectes sont présents dans les souvenirs d’enfance de l'artiste, lorsqu'il les chassait la nuit dans sa maison de Kostërc. Ces dessins rappellent aussi une conversation intime avec sa mère au sujet de sa fascination d’enfant pour les papillons et les lépidoptères ; et son extrême sensibilité au monde naturel. Ils établissent un lien parfait entre ABETARE (l’installation de papier peint) et la série des sculptures de papillons de nuit Do you realise there is a rainbow even if it’s night!?. Les deux œuvres ont été présentées dans le cadre de la 57e Biennale de Venise, où Petrit Halilaj a reçu la mention spéciale du jury. Un papillon de nuit et une série de dessins sont en ce moment présentés à la galerie kamel mennour à Londres.
La deuxième partie de l'exposition présente une installation in situ de grande échelle composée d'un ensemble de douze tables d’écoliers et de plusieurs sculptures en acier qui occupent tout le volume de la galerie. Les tables proviennent de l'école primaire "Shotë Galica" de Runik, une petite ville du nord du Kosovo, où Halilaj a vécu et étudié. L'artiste a d’abord découvert ces anciens pupitres en 2010 en filmant la démolition du bâtiment pour en construire un plus moderne. Les bureaux à la surface verte et bancs en bois étaient couverts de milliers de dessins, d'inscriptions, de gravures et de griffonnages laissés par plusieurs générations d'écoliers. Petrit Halilaj a reproduit et agrandi ces dessins pour en faire des sculptures qui sont autant d’archives célébrant cette représentation visuelle illégale, mais extrêmement précieuse et authentique, de la réalité locale qui entourait les enfants de sa communauté.
En tant que visiteurs, nous nous sentons immédiatement connectés à ces images qui ravivent nos propres souvenirs d'enfance. Nous reconnaissons des noms de célébrités du monde de la musique et du sport, autant que des dessins familiers de nos années passées sur les bancs de la fac. Ce sont des symboles de l'amour, des animaux, des noms, des figures humaines, des parties du corps et autres formes stylisées courantes. Mais à y regarder de plus près, nous découvrons aussi des éléments liés à l'identité nationale du Kosovo et à son histoire récente. On trouve ainsi les acronymes des groupes militaires qui opéraient dans le pays, telle la KFOR (Kosovo Forces) ou des représentations détaillées de plusieurs modèles d'armes à feu et de pistolets.
Cette juxtaposition complexe de différents récits et couches d'histoire dans un même espace révèle la condition délicate de l'enfance, lorsque la réalité est appréhendée sans filtre. Mais il s’agit aussi d'un éloge à ce moment de liberté dans la vie où nous développons notre propre individualité et notre propre langage. Cette œuvre est un moyen de nous rappeler cet moment révolu de découvertes, où la réalité et l'imaginaire fusionnent souvent.
— Leonardo Bigazzi

Petrit Halilaj
Né en 1986 à Kostërrc, Kosovo
Vit et travaille entre l'Allemagne, le Kosovo et l'Italie.






































































































