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Daniel Buren
Peinture aux formes variables, 1966
10 déc. 2020 - 6 mars 2021
Mennour, 28 avenue Matignon

L’œuvre accrochée au mur est exceptionnelle et occupe une place à part au sein de la trajectoire de l’artiste français né en 1938. Et ce à plus d’un titre. Produite en mai 1966, cette peinture, pleinement assumée comme telle, appartient à une famille de travaux d’un créateur qui à l’époque et ce pour quelques mois encore se considère comme peintre. Ces termes – peinture, peintre –, il convient effectivement de les manier avec prudence et précision tant ce laps de temps – septembre 1965 à décembre 1967 – sera synonyme d’une rupture progressive engageant l’avenir des principes, méthodes et protocoles, à partir desquels un Daniel Buren en voie de conversion va échafauder son esthétique. C’est dire à quel point cette peinture, qui plus est accrochée au mur, selon un mode de présentation tributaire d’une tradition occidentale centenaire, traduit un passage entre deux périodes et positionnements. Entre une conception, aussi (auto)critique soit elle, de l’art dirigée vers le passé. Et une autre se voulant au diapason de questionnements tournés vers l’avenir. Daniel Buren, sans en être pleinement conscient au moment de l’entreprendre, est avec cette Peinture aux formes variables l’auteur d’une œuvre témoignant d’un écartèlement. Celle-ci est en effet emblématique d’un groupe de travaux rarissimes dans la mesure où elle conjugue un travail de deuil à celui d’une naissance. Deuil d’une certaine idée d’une peinture se caractérisant par, pour reprendre les mots de l’artiste, des « accidents et les habiletés que la main peut avoir ». Deuil d’un impératif compositionnel, dépendant de « formes variables » et assujetti aux délimitations du tableau repliées sur elles mêmes, qui fait prendre conscience à Daniel Buren qu’il ne s’agit plus vraiment de savoir s’il faut répondre aux débats picturaux par des arguments « abstraits », « figuratifs » ou « organiques ». Mais si la peinture en tant qu’objet tableau connoté par une histoire et tradition est tout simplement une question encore valable. D’une certaine manière, l’artiste s’apprête avec le concours de ses « outils » – les bandes verticales de 8,7 cm de large alternées blanches et colorées, rappelons-le, découvertes en septembre 1965 au marché Saint-Pierre – sont expérimentées pour l’une des premières fois dans cette toile –, à déconstruire cette question qui peu à peu va provoquer une série de disparitions. « Tous ces tableaux, nous dit l’artiste à propos de ces œuvres du printemps 1966, sont des tentatives de se débarrasser de beaucoup de choses. En trois-quatre mois, toutes ces formes ont disparu. Et il va y avoir très vite après la disparition complète de l’objet tableau par le travail fait avec des papiers imprimés et collés sur les murs ». C’est la fonction même du tableau qui est interrogée et renégociée ici. Le caractère insolite de cette œuvre est dû en conséquence au fait que ces procédures de déconstruction et de remise en question se font par le truchement, et peu avant son éclipse, de l’objet interrogé. Son intérêt réside dès lors dans l’extrême tension que cet objet tableau dégage. Sa latence. Dans cette identité hautement paradoxale. Jorge Luis Borges a écrit un jour que le présent est l’« instant où le futur devient du passé ». Dans la Peinture aux formes variables, c’est au contraire le passé qui cherche dans cet ici et maintenant défini en mai 1966 par la toile à dévoiler le futur.
— Erik Verhagen

Daniel Buren
Né en 1938 à Boulougne-Billancourt, France
Vit et travaille à Boulogne-Billancourt, France



















































































