FIAC in the galleries - Frank Stella

21 oct. - 5 déc. 2020

Mennour, 28 avenue Matignon

C’est durant l’automne 1961 que Frank Stella, alors âgé de 25 ans, entreprend un premier voyage en Europe qu’il prolongera par un séjour au Maroc. Déjà solidement établi à l’époque dans le milieu de l’art new-yorkais, le jeune artiste peut se prévaloir d’avoir participé en 1959 à l’exposition Sixteen Americans au MoMA et intégré la galerie de Leo Castelli où il présentera en 1960 ses premières shaped canvases (toiles non rectangulaires), les Aluminium Paintings qui font suite aux Black Paintings, les unes et les autres assimilées aux débuts du minimalisme étatsunien. Tributaires d’une approche picturale « non-relationnelle », se voulant anti-illusionnistes et assujetties à un impératif symétrique et « objectuel », ces séries se caractérisent en outre par un désintérêt pour la chose chromatique qui fera dire à William Rubin qu’elles relèvent d’une « anti-couleur neutre ». Il en est de même de la deuxième série de shaped canvases, les Copper Paintings que Stella exposera à son retour d’Europe en 1962 mais peintes au préalable. Retour synonyme pour lui d’un abandon provisoire et des monochromes et des châssis défiant la rectangularité. Provisoire dans la mesure où il renoue assez rapidement, dès 1963, avec des structures polygonales recouvertes d’une peinture métallique pourpre acidulée dont les commentateurs de l’époque soulignent cependant le « rôle expressif » propre à la couleur qui explosera avec la série des peintures dites marocaines à laquelle appartient Tetuan I conçue en 1964. Année particulière pour ne pas dire paradoxale dans la carrière de l’artiste, Stella y pose en effet à l’occasion d’un entretien radiophonique donné en février avec Donald Judd et dans lequel il se montre résolument dogmatique les bases d’une conception tautologique de son métier pictural. Et pourtant nul ne saurait contester le fait que certaines œuvres peintes simultanément ou à la suite dudit entretien se montrent, au contraire, perméables à des influences étrangères, imprégnées de réminiscences et souvenirs, de survivances et sensations, en lien avec son séjour marocain de 61. Rubin parle à propos de ses peintures de 1964 d’un « relâchement dans son approche de problèmes picturaux », de contradictions dans la manière de les négocier. D’une détente (en français dans le texte). Et d’un changement de paradigme incitant Stella à se concentrer dans ses peintures marocaines sur la couleur au détriment de la structure, l’artiste ayant sans doute décidé aussi pour cette raison et le temps de cette parenthèse d’abandonner à nouveau, comme il l’avait déjà fait en 1962, les shaped canvases au profit de formats plus ou moins carrés. Le recours dans Tetuan I à des diagonales rouges et jaunes alternées et décrochées, séparées en outre par de discrètes « réserves » – procédé dont l’artiste est coutumier – est représentatif de cette série. Stella y applique une peinture fluorescente incandescente témoignant d’une transparence rendue possible par la pose d’une seule couche. Mais ces peintures constituent aussi un aveu. Celui de la toute puissance de l’illusionnisme auquel l’artiste a tenté en vain dans ses années de jeunesse de se soustraire et qu’il s’est résolu non plus à tenir à distance et encore moins à combattre mais à convertir en un moteur riche en potentialités picturales. En cela Tetuan I est à l’image des autres peintures marocaines de Stella emblématique d’un virage essentiel dans sa trajectoire.

— Erik Verhagen